1 RENCONTRE – MOHAMED JOUDAI OU QUAND LE FER EST D’OR

Il était à l’image de ses créations. Unique. Fantasque. Il ciselait chacune de ses répliques. Il s’appelait Mohamed Joudai. Il était maître ferronnier. Il était un artisan marrakchi et un artiste hors paire. Je cherchais à le voir pour poursuivre notre collaboration depuis mon arrivée au Maroc mercredi dernier. En vain. Il est mort ce matin.

Je n’osais penser à ce jour. Ce jour fut aujourd’hui. Ce fut ce matin. L’ironie qu’il pratiquait si bien a voulu que ce soit le jour de ma fête. Sacré Mohamed !

Ma mère qui m’accompagne sur ce nouveau séjour marocain et moi-même sommes restées pantoises devant la porte close de son petit atelier. La porte était close depuis quelques jours déjà et intérieurement, je me rassurais en l’imaginant riant les pieds dans l’eau pour se reposer de l’été caniculaire de Marrakech ou bien en famille autour d’un repas digne de nos déjeuners dominicaux outre Méditerranée. Hélas, mon intuition me dupait moins que mon cerveau. Il était entrain de nous observer de là-haut, l’œil aiguisé et rieur.

Il nous a quittés le jour même où l’une de ses incroyables paires de ciseaux a été adoptée par un client de notre boutique parisienne. Merci à celle ou à celui qui comme moi a craqué pour l’une de ses œuvres. De là-haut, je suis sûre qu’il vous a fait un clin d’œil tout en crapahutant sur son vélo ou suivi par une nuée de chats qu’il nourrissait toujours avec cœur.

Mohamed c’était un petit bonhomme drôle et revêche. C’était LE talent qui m’a poussée à lancer 100 escales afin de mettre un peu plus dans la lumière celles et ceux qui ont de l’or dans les mains et – soyons pragmatiques – leur donner à notre mesure un petit complément de revenu.

Lors de notre première rencontre et pendant les deux années qui ont suivi ce que je n’aurai jamais de cesse de nommer un coup de foudre artistique, il m’a fait croire qu’il ne parlait pas le français. Patiemment, j’attendais qu’une traduction en amazigh (langue berbère) lui soit faite. Un jour, alors que je lui passais une nouvelle commande, il m’a parlé dans une langue de Molière plutôt fluide et fleurie en riant et m’a invitée à m’asseoir à ses côtés. J’avais réussi le test !

Depuis, c’était toujours le même rituel : je m’asseyais avec lui, nous parlions toujours argent d’abord car, malgré son incroyable savoir-faire et l’identité unique de chacune de ses créations, je pense qu’il n’a jamais dû rouler sur l’or. Les comptes faits, il me dévoilait alors des croquis d’une exquise naïveté et des pans de sa vie. J’avais l’impression de tricoter un patchwork avec lui : un coup, il me parlait de ses séjours dans l’Atlas en terres berbères pour se ressourcer, un autre coup, il me contait un voyage dans l’hiver d’Avoriaz. Puis, je le regardais travailler ; il dessinait à main levée des animaux d’une savane fantasmée, des nymphes antiques, des amazones et des monstres marins. Ses scénettes fantasmagoriques étaient une sorte d’Art Déco berbère qui couronnait l’un des corps de métier les plus virils d’une délicatesse toute livresque. Dans l’atmosphère saturée de la ferronnerie, la fraîcheur de son style détonnait de beauté. Ses créations débordaient d’une naïveté enfouie sous un caractère revêche et farceur… A chaque fois que je venais chercher une commande, il me faisait croire qu’elle n’était pas prête alors qu’elle était déjà emballée.

Bon vent à ce grand Monsieur et rendez-vous au Paradis… Inch’Allah !

Texte & photo 100 escales – E.K.

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