1 RENCONTRE – TAXI DRIVER CHEZ LES MAHARAJAS

Il est affable et professionnel. Il conduit avec bienveillance et sans excès, parle vite et sans détour. Il est chauffeur de taxi et a été le mien entre Chennai et Mamallapuram. Il est musulman ; sa femme est chrétienne. Leur mariage est d’amour au pays des unions arrangées. Ils se sont coupés de leurs familles respectives, mais pas de leur foi mutuelle. Toujours chrétienne, toujours musulman, toujours amoureux, ils sont le reflet d’une Inde pluri-religieuse et multiculturelle autant qu’une exception dans une nation où l’amour n’est bien souvent que l’avatar du mariage.

A la climatisation de sa voiture et son ambiance aussi factice, polluante qu’aseptisée, il préfère l’atmosphère odorante et venteuse des vitres baissées. Cela nous fait un point en commun. Ravi que son mariage d’amour ne soit pas jugé comme un acte impulsif voire juvénile et inconscient, il se confie le temps que défilent des bords de mer où la végétation cède rapidement sa place aux ersatz du progrès, entre pelleteuses et colonnes de béton aux charmes invisibles.

Au programme donc de ces trois heures de route, cheveux au vent, paroles en l’air, klaxon bavard et discussions sincères. Très vite, la famille arrive tel le pilier de notre conversation. Sa femme semble charmante. Je l’ai même eue au téléphone, mais nous n’avions aucune langue en commun pour pouvoir communiquer. Ce ne fut pas un argument suffisant pour le mari qui, trop fier de conduire une étrangère moins étrangère à sa religion que ses voisins de palier, se précipita sur son portable. Mais il s’y précipita aussi pour toute autre chose… Car mon chauffeur est aussi acteur !

Mais, ne lui parlez pas de Bollywood. Non, lui est un comédien 100% Tollywood : des productions surtestostéronnées d’actions, pétries de kitsch et de rebondissements, d’amours mielleuses, d’actions fielleuses et de chorégraphiées épileptiques et sexy, toutes réalisées dans le Tamil Nadu et non du côté de Mumbai (Bombay). Bollywood et ses dialogues en hindi, c’est bon pour les autres ! Ici, on ne parle que le tamoul.

Tantôt policier d’une geôle lugubre, tantôt combattant antique, il a voyagé en Chine, en Indonésie, en Malaisie et même à Paris. Mais, débarquant déjà à Mamallapuram, au cœur de son pittoresque village de pêcheurs, je ne saurai jamais si ces destinations ne furent que le fruit des productions auxquelles il participe. Les pieds à terre, j’ai encore la tête ailleurs, ne sachant plus très bien si l’étourdissement vient de ce tourbillon cinématographique, des bourrasques océaniques, de son imagination ou de la mienne.

Texte & photo 100 escales – E.K.

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